Victor Hugo avait une grande considération pour Balzac : au ministre de l’Intérieur qui lui dit lors son l’inhumation : « C’était un homme distingué », il répondit : « C’était un génie ».
La Comédie humaine, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir, et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; livre merveilleux que le poète a intitulé Comédie et qu’il aurait pu intituler Histoire… Livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue, le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal. À son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette oeuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit à bras le corps la Société moderne,. il arrache à tous quelque chose, aux uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque.
(Extrait de l’hommage funèbre prononcé par Victor Hugo)
Charles Baudelaire, grand admirateur de Balzac :
… Balzac, ce prodigieux météore qui couvrira notre pays d’un nuage de gloire, comme un orient bizarre et exceptionnel, comme une aurore polaire inondant le désert glacé de ses lumières féeriques … ». Et aussi : « J’ai mainte fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être visionnaire, un visionnaire passionné.
George Sand fit la connaissance de Balzac, alors qu’il était à ses débuts :
Un de mes amis qui connaissait un peu Balzac m’avait présentée à lui, non comme une muse du département, mais comme une bonne personne de province très émerveillée de son talent. C’était la vérité. Bien que Balzac n’eût pas encore produit ses chefs d’oeuvre à cette époque, j’étais vivement frappée de sa manière neuve et originale et je le considérais déjà comme un maître à étudier. Balzac avait été, non pas charmant pour moi à la manière de Delatouche, mais excellent aussi, avec plus de rondeur et d’égalité de caractère. Tout le monde sait comme le contentement de lui-même, contentement si bien fondé qu’on le lui pardonnait, débordait en lui ; comme il aimait à parler de ses ouvrages, à les raconter en causant, à les lire en brouillons ou en épreuves. Naïf et bon enfant au possible, il demandait conseil aux enfants, n’écoutait pas la réponse, ou s’en servait pour la combattre avec l’obstination de sa supériorité. Il n’enseignait jamais, il parlait de lui, de lui seul. Une seule fois, il s’oublia pour nous parler de Rabelais, que je ne connaissais pas encore. Il fut si merveilleux, si éblouissant, si lucide, que nous nous disions en le quittant : « Oui, oui, décidément, il aura tout l’avenir qu’il rêve; il comprend trop bien ce qui n’est pas lui, pour ne pas faire de lui-même une grande individualité. Réduit bientôt à des expédients fabuleux pour ne pas se séparer de colifichets qui réjouissaient sa vue, artiste fantaisiste, c’est-à-dire enfant aux rêves d’or, il vivait par le cerveau dans le palais des fées ; homme opiniâtre cependant, il acceptait, par la volonté, toutes les inquiétudes et toutes les souffrances, plutôt que de ne pas forcer la réalité à garder quelque chose de son rêve. aussitôt, pensant à l’ouvrage qu’il était en train de faire, il se mettait à le raconter, et, en somme, je trouvais cela plus instructif que tous les empêchements que Delatouche, questionneur exaspérant, apportait à ma fantaisie.
Théophile Gautier, son ami, dit de lui :
Balzac n’était pas précisément ce qu’on appelle un causeur, alerte à la réplique, jetant un mot fin et décisif dans une discussion, changeant de sujet au fil de l’entretien, effleurant toute chose avec une légèreté, et ne dépassant pas le demi-sourire : il avait une verve, une éloquence, et un brio irrésistibles ; et, comme chacun se taisait pour l’écouter, avec lui, à la satisfaction générale, la conversation dégénérait vite en soliloque. Le point de départ était bientôt oublié et il passait d’une anecdote à une réflexion philosophique, d’une observation de mœurs à une description locale ; à mesure qu’il parlait son teint se colorait, ses yeux devenaient d’un lumineux particulier, sa voix prenait des inflexions différentes, et parfois il se mettait à rire aux éclats, égayé par les apparitions bouffonnes qu’il voyait avant de les peindre. il annonçait ainsi, comme par une sorte de fanfare, l’entrée de ses caricatures et de ses plaisanteries, – et son hilarité était bientôt partagée par les assistants. – Quoique ce fût l’époque des rêveurs échevelés comme des saules, des pleurards à nacelle et des désillusionnés byroniens, Balzac avait cette joie robuste et puissante qu’on suppose à Rabelais , et que Molière montra dans ses pièces .
Stefan Zweig, novelliste autrichien renommé, a écrit un essai sur Balzac :
Lorsqu’il [Balzac] commença d’écrire, le savoir de toute sa vie était déjà réuni en lui, d’une façon mystérieuse ; il y était accumulé et emmagasiné, et c’est peut-être, avec le phénomène presque mythique de Shakespeare, la plus grande énigme de l’histoire universelle que la question de savoir comment, quand et d’où sont venues dans l’esprit de Balzac toutes ces extraordinaires provisions de connaissances concernant toutes les professions, toutes les matières, tous les tempéraments et tous les phénomènes. Pendant trois ou quatre ans, dans sa jeunesse, il avait exercé plusieurs professions ; c’est dans ces quelques années qu’il lui a fallu puiser toute sa science, toute cette quantité inexplicable et inconcevable de faits, la connaissance de tous les caractères et de tous les phénomènes ; il a dû, dans ces années-là, observer incroyablement ! Son regard dut être un effrayant appareil d’absorption qui, avidement, à la manière d’un vampire, s’emparait de tout ce qu’il rencontrait pour le concentrer dans son être, dans une mémoire où rien ne se décolorait, où rien ne se perdait, où rien ne se brouillait ni ne se corrompait, où tout était bien ordonné, bien à sa place, bien aligné, où tout était toujours prêt à être utilisé et toujours tourné du côté essentiel, dans une mémoire où tout faisait ressort et bondissait dès que Balzac le voulait ou le désirait ! […]
L’œuvre de Balzac est immense. Dans ses quatre-vingts volumes vit toute une époque, tout un univers, toute une génération. Jamais avant lui n’avait été méthodiquement tentée une entreprise aussi grandiose ; jamais l’audace d’une volonté surhumaine ne fut mieux récompensée. Les dilettantes, ceux qui, pour se délasser, cherchant le soir à oublier le monde mesquin de leur existence, veulent de nouvelles images et de nouvelles âmes, trouvent chez Balzac toute l’excitation qu’il leur faut et un théâtre varié ; les dramaturges y trouvent matière à cent tragédies ; les savants, une foule de problèmes et d’idées – négligemment jetées comme des miettes de la table d’un homme plus que repu ; les amoureux y trouvent une ardeur d’extase pour ainsi dire idéale. Mais l’héritage le plus riche est encore pour les poètes. Dans le projet de la Comédie humaine, à côté de romans achevés, il y en a encore une quarantaine d’inachevés, qui n’ont pas été écrits ; l’un s’appelle « Moscou », celui-là « La Plaine de Wagram » ; un autre traite des batailles livrées autour de Vienne ; un autre encore est consacrée à la vie de la passion.
C’est presque un bonheur que tous ces ouvrages n’aient pas été terminés. Balzac a dit un jour : « Est un génie celui qui en tout temps peut transformer ses pensées en actions. Mais le génie tout à fait grand se garde d’exercer continuellement cette activité, car il ressemblerait trop à Dieu. » En effet, s’il lui avait été permis d’achever tous ses romans, de refermer entièrement sur lui-même le cercle des passions et des événements, son œuvre aurait atteint les limites de l’inconcevable. Elle serait devenue une monstruosité, l’effroi de tous ceux qui viendraient après lui, découragés par l’impossibilité de l’atteindre ; tandis que, telle qu’elle apparaît – torse sans pareil -, elle est un stimulant extraordinaire et l’exemple le plus grandiose que puisse trouver une volonté créatrice en marche vers l’inaccessible.